Michel Gélinas
FAIRE UN FILM... comme un pro!

un livre de Michel Gélinas
Éditions Somme Toute

Par Henri-Paul Chevrier
 
Pendant trente ans, j’ai enseigné la création en cinéma et en vidéo. Je me suis beaucoup amusé, parce que réaliser un court métrage relève aussi bien de la littérature que du théâtre, de la peinture que de la musique, de la bande dessinée que du téléroman. Cela exige des connaissances tant en chimie (de la pellicule) qu’en physique (de la lumière), tant en psychologie qu’en philosophie, tant en gestion des finances qu’en langage du cinéma.

Faire un film, c’est maîtriser la narratologie, la direction des comédiens, la technique du son et la base de tous les métiers sollicités sur un plateau. C’est aussi s’y connaître en informatique. D’ailleurs, le Syndicat des techniciens offre à ses membres jusqu’à 35 ateliers de perfectionnement. Le réalisateur d’un premier film doit ainsi cumuler les rôles d’un artiste et d’un ingénieur, s’intéressant à tout, discutant de n’importe quoi.

En raison de sa durée, le court métrage oblige à aller à l’essentiel, à démontrer une certaine efficacité dans le langage et la mise en scène. À cause de sa clandestinité, il permet toutes les audaces et toutes les libertés. Par ailleurs, on réalise 300 courts métrages par année au Québec (contre 30 longs métrages) et on en produit autant dans les cours de cinéma au collège. Ces exercices d’apprentissage et de création contribuent souvent à renouveler le cinéma.

Michel Gélinas a produit, réalisé et distribué des courts métrages. Il a surtout guidé ceux qui se lançaient dans l’aventure. Nous avons tous les deux enseigné à l’université et j’ai été impressionné par l’ampleur de ses Cahiers. Il compilait pour ses étudiants des extraits de livres, des articles de périodiques et ses propres documents de façon à couvrir toutes les étapes d’une production. Il fallait juste actualiser ces dossiers et les intégrer dans une réflexion plus large.

Faire un film...comme un pro  a l’ambition de synthétiser dans un seul livre tout ce qu’il faut savoir pour réaliser un court métrage de fiction. C’est à travers un parcours de création qu’il nous propose l’essentiel des connaissances pour réaliser une oeuvre à part entière. Pour mieux en dégager la nécessité, voici les grandes articulations de l’ouvrage. Calqué sur les étapes de la production d’un film, le livre se divise en trois parties.

Dans la partie Conception, on décrit la mécanique des récits, les étapes de la scénarisation et les documents à rédiger pour entreprendre un projet de film. Pour prouver la nécessité d’un découpage technique, l’auteur réussit l’exploit d’illustrer différentes façons de découper une situation tirée d’un scénario, donc diverses manières de filmer une scène. Il explique ensuite les bases du langage cinématographique (et je peux témoigner de leur justesse).

Il va plus loin encore : il aborde la mise en scène, en particulier par le montage et le jeu du comédien. Ce guide a beau se vouloir pratique, il traite quand même de la vraisemblance et de l’imaginaire, de la composition de l’image et des styles d’expression. Il envisage aussi la conception artistique d’un film : de la psychologie des couleurs jusqu’aux bases du maquillage en passant par le graphisme des génériques.

Dans la partie Organisation, Michel Gélinas explique les méthodes de tournage, l’organisation du travail et la gestion du temps sur un plateau. Et il réussit une prouesse, celle de rendre fascinantes la structure d’un budget, les sources de financement et les stratégies de production. Il fournit beaucoup de formulaires et de modèles, puis explique comment rédiger un contrat. Il aborde ensuite les droits civils, les droits commerciaux et les droits d’auteur.

L’auteur décrit tous les postes de travail dans une production professionnelle et répartit le travail selon les tâches essentielles sur un plateau de court métrage. Il insiste sur le travail de continuité et de chronométrage, et se surpasse quand il raconte avec brio comment mener des auditions pour le casting, comment travailler avec les comédiens (selon les quatre personnalités recensées) et avec des professionnels (selon le contexte syndical).

Dans Technique, il illustre les différences entre la caméra de cinéma et la caméra numérique. Il couvre la profondeur de champ, la théorie de la lumière, les ratios d’éclairage et propose même des approches stylistiques de l’éclairage par des études de cas. Il explique ensuite les rapports entre le son et l’image, les aspects techniques du son, sa reproduction et la mise en scène sonore. Il examine les microphones et leur utilisation.

Il explore les techniques de montage (linéaire et non linéaire), les méthodes de travail, puis la finition sur pellicule, la finition en vidéo numérique, et tous les transferts possibles. Avec simplicité, il explique aussi les pistes de dialogues, de bruits et de musique, enfin le mixage sonore avec ses filtres et ses formats. Il approfondit l’apprentissage jusqu’à la manipulation des images, la correction par addition ou soustraction de couleurs, et les étapes de l’étalonnage.

En prime, l’auteur aborde la diffusion, la mise en marché et la distribution d’un court métrage au Québec. Dans notre contexte de production, celui de faire des films d’auteur dans un cadre industriel, il persiste à défendre la production indépendante. Et dans les sections cachées, Michel Gélinas va jusqu’à répondre à des questions existentielles.

Pourquoi faut-il la finale de l’histoire avant le tournage ? Combien faut-il de watts dans un spot pour déclencher les gicleurs ? Que faire quand l’éclairagiste s’est électrocuté ? Le cinéma direct, est-ce quand le cinéaste est présent lors du tournage ? Que dire quand le monteur a effacé tout le matériel numérisé ? Comment fait-on pour reconnaître la réalisatrice sur un plateau ?

Le langage du cinéma est facile à comprendre, mais le parler exige tout un apprentissage. Pour apprendre à raconter une histoire, à la mettre en scène, il faut de la lecture, de l’écriture et de la culture... Cet ouvrage d’érudition (pas du tout pour les nuls) ne garantit pas le talent, mais il vous préservera de l’amateurisme et de l’improvisation.

Faire un film...comme un pro, c’est le guide pédagogique que j’aurais voulu mettre entre les mains de tous mes élèves ! Il faudrait obliger tous les techniciens à le lire, ne serait-ce que pour assurer un consensus sur le plateau. Et comme «on se donne autant de mal pour faire un mauvais film qu’un bon », alors autant vous préparer sérieusement.
 

H.-Paul Chevrier
Professeur de cinéma